Ces quelques pages proposent une restitution de travaux réalisés à l’École supérieure d'art et de communication — Cambrai. Vous êtes invités à explorer les différentes fenêtres de ce site à la manière d'un spectateur visitant une exposition.
Ces propositions forment un relais avec le spectacle 20 danseurs pour le XXe siècle du chorégraphe Boris Charmatz et une programmation régionale riche et variée : Une Maison de Christian Rizzo, Sans titre, mise en scène de Tino Sehgal avec Boris Charmatz, Soulèvement de Tatiana Julien.
Nous tenons à remercier les équipes de l'Opéra de Lille, du Phénix et de l'Espace Pasolini de Valenciennes, qui nous ont accompagnés pour élaborer cette proposition, mais aussi la metteure en scène, chorégraphe et interprète Esther Mollo pour son écoute et ses conseils.
Ce projet a été mené, dans le cadre de l'Atelier Recherche et Création Arts-Scènes-Média, par les enseignants David Ayoun, Romain Descours et Agnès Villette, ainsi que par les étudiants Amandine Alonso, Pauline Boitel, Adrien Clabecq, Marine Dominges, Anaïs Gillet, Lucie Herbet, Mélanie Lam, Camille Leleu, Sara Meniel, Elisabeth Musielak, Cyrielle Nogaro, Sébastien Petit, Célia Petitjean, Élisa Yuste.
Conception graphique : Sara Meniel et Célia Petitjean.
J'interroge la place d'une gestuelle née de notre rencontre avec des machines. Avec pour mise en scène un lieu industriel, je souligne une forme de dépossession où des gestes sont, à présent, commercialisés et monétisés, ouvrant des perspectives sur l’industrialisation du corps. Les mains, mises en avant, deviennent emblématiques de cette critique, reproduisant sans arrêt les mêmes mouvements de façon détachée, comme des machines parfaitement réglées. Cette performance donne à voir une série de mouvements sélectionnés parmi des gestes tactiles et numériques brevetés, appartenant à de grandes firmes telles que Samsung ou Apple.
Adrien Clabecq
Les gestes sont amples et lents, le contact est précis. La performance investit l'intégralité des baies vitrées. Délimités par l’encadrement de la baie, deux corps bougent et se synchronisent. L’une des performeuses guide, l’autre se laisse guider. D'un point de contact à l’autre, se dessine une chorégraphie. Une osmose opère, les corps se confondent, au point de ne plus pouvoir distinguer entre celle qui guide et celle qui suit. Alors, les mouvements se fluidifient à l’intérieur du cadre. Progressivement, les corps se désynchronisent, le dispositif se morcèle et les corps s’affranchissent. De cette rencontre, ne resteront que des traces, comme autant d'empreintes archivées.
Amandine Alonso
Le décompte est lancé, tous les jours, je pars arpenter un territoire, toujours le même. La règle est simple, voire simpliste, j'applique à la lettre le protocole, ces déplacements sont effectués dans un rayon d'un kilomètre autour de mon domicile et pour une heure maximum par jour. Un mouvement qui pourrait paraître banal devient matière à fabrication. Le jeu est presque enfantin. La focale est resserrée, elle se concentre sur la cartographie restreinte d'un territoire. Le geste est pour ainsi dire minimal, je marche tout en déplaçant, à coups de pied, des matériaux rencontrés sur mon chemin. Bouts de bois, conglomérats de terre, matières plastiques, laine, à force de déplacements, certains matériaux se désagrègent, d'autres résistent.
Anaïs Gillet
« […]
L’amour est un oiseau rebelle
Que nul ne peut apprivoiser,
Et c'est bien en vain qu'on l'appelle,
S'il lui convient de refuser.
Rien n'y fait, menace ou prière,
L'un parle bien, l'autre se tait ;
Et c'est l'autre que je préfère
Il n'a rien dit ; mais il me plaît.
[…] »
Courageuse, ouvrière, libre et rebelle, Carmen sera finalement assassinée. Aucune femme ne devrait plus mourir, sur scène, ni dans la vie réelle. Carmen n'est pas morte propose une relecture féministe de l’air de Georges Bizet L’amour est un oiseau rebelle, pour nourrir une performance où coercition, violences, féminicides sont sous-jacents. La performance interroge le rôle de ces deux femmes évoluant dans un univers étouffant, occupées à laver des sous-vêtements. Plongées sous les projecteurs d’une lumière sanglante, elles répètent des gestes quotidiens. L’essorage des vêtements, la saturation de l’écoulement de l’eau, libèrent une révolte sourde et réactivent une lecture ambivalente de l’air de Carmen.
Nos remerciements vont à tous ceux qui ont permis la réalisation de ce projet ainsi qu’à Élisa et Cécile Yuste pour avoir prêté leurs voix.
Camille Leleu et Elisabeth Musielak.
Lorsqu’il s’agit d’impliquer mon corps, je ne peux ignorer les contraintes qui lui sont liées. Il me faut penser et agir autrement, forcer pour aller comme je l’entends. J’ai décidé d’engager d’autres corps que le mien. Séance après séance, nous étions là pour faire et ressentir avec les mêmes personnes, ce qui a été fortement libérateur pour nous. J’ai imaginé des protocoles afin de les pousser vers des gestes étranges. Un lien se crée entre eux et la cheffe d’orchestre que je suis. Je suis dirigé, à l’écoute du chorégraphe et je m’accorde avec ma pensée libérée. Libérée dans la mesure où l’inventivité trouve sa solution dans l’action. Interprétation, échange, accumulation, épuisement. Cela devient un rituel entre nous. « Improviser ». Une folie m’envahit et je me laisse porter, je provoque des mouvements. Il n’est pas question de représenter la douleur, mais de faire autrement. Les exercices étaient pour moi un moyen de me libérer et de concevoir la créativité de mon corps. J’ai pu m’en amuser sans me préoccuper des postures conventionnelles. Je me suis sentie utile et libre. Se dessinent des chorégraphies de vie à partir d’un langage qui nous est propre. Je suis un objet, une forme, une action qui vient déranger. Pour moi, ces protocoles sont autant de rituels cathartiques où nous travaillons ensemble. Nous avions chacun à notre manière, une symbiose, une harmonie avec ce projet de performance.
Élisa Yuste
PROTOCOLE PROTOCOLES est un projet performatif mené avec quatre interprètes et des participants ponctuels. Je dirige chaque protocole en tant que compositeur et déclenche par des indications sonores l’implication corporelle des interprètes dans l’espace.
PROTOCOLE ANANAS
Imaginer une implication de son corps dans l’espace à partir d’un mot,
concept, objet…
PROTOCOLE HAUTBAS
Une action est donnée pour le haut du corps et une autre pour le bas.
PROTOCOLE INDIVIDUEL
Les interprètes n’ont pas les mêmes consignes.
PROTOCOLE BLABLA
Le compositeur questionne la façon dont les actions sont ou ne sont pas faites
afin de pousser l’interprète à penser autrement. Spontanéité.
PROTOCOLE CONTRAINTE
Chaque fois qu’une partie du corps est nommée ou touchée par le
compositeur, celle-ci devient inerte et l’interprète ou le participant doit continuer sans jusqu’à
l’impossibilité du geste.
PROTOCOLE COMPOSITEUR
Un interprète prend la place du compositeur et donne à son tour les
consignes aux autres.
PROTOCOLE JE VOIS JE NE VOIS PAS
« Je ne vois personne »,
« Personne ne me voit », « Je ne vois plus rien »
PROTOCOLE FAIRE FAIRE
Faire faire à l’autre une action. Transmettre un geste.
PROTOCOLE CECI N’EST PAS
Détourner un objet de sa fonction première. Multiplier les
interactions absurdes avec l’inanimé.
TABLE RONDE
Débuter en cercle et annoncer des verbes ou des objets jusqu’à ce que d’un
commun accord, un mot choisi soit répété par tous les interprètes. Puis commence le protocole.
En s’attardant sur un détail, il est possible de voir l'écriture d'un mouvement. L'attention se porte sur des rouleaux de scotch. Le caractère adhésif donne de multiples sonorités qui se révèlent changeantes, comme autant d'instruments qui témoignent d'une attraction à d'autres objets. C’est au contact des différentes qualités de surfaces, qu'elles soient rugueuses, lisses, métalliques ou encore poussiéreuses, que la diversité devient audible. Étirer et décoller, selon la force du geste, crée de nombreuses combinaisons sonores. Devenu trace audible, le mouvement s'oublie pour laisser place à une compilation d'archives sonores. Pourquoi ne pas jouer avec les différents scratchs?
Lucie Herbet
La position est fixe. Le mouvement est une action entre deux états fixes dans l'espace. Le geste est un mouvement avec une finalité. La danse est une suite de mouvements rythmés du corps.
Quel mouvement apparaît entre deux positions ? Comment l'interpréter ?
À travers la mise en place d’un protocole performatif, gestes, mouvements et positions ont été extraits et répertoriés, afin de proposer une exploration et une ré-interprétation. Danse contemporaine, danse classique, butō, danse-théâtre, non danse… gestes qualifiés de « danse » par la culture populaire, issus du cinéma et des réseaux sociaux : Backpack kid, Moonwalk, YMCA…
Un performeur, un dispositif générateur de hasard, une surface praticable. Place à la danse.
Marine Domingues
Lors d’un de ses voyages au Cambodge, ma grand-mère m’a rapporté ce bracelet en coton en me racontant que le fil rouge portait chance et le jaune/orangé amenait une longue vie. Ce bracelet a été béni par un bonze dans un temple à Preah Khan.
J’ai décidé de mettre en avant une partie de mes mains, que j'ai utilisées comme un outil, un fil conducteur, le point d'un souvenir, la mémoire des mouvements de mon corps. Ces gestes, je les ai déjà effectués dans diverses disciplines que j’ai pratiquées dans mon enfance. La chorégraphie obtenue conserve les différentes disciplines auxquelles mon corps a été confronté : danse classique, danse folklorique du Nord de la France, danse traditionnelle khmère.
Mélanie Lam
Jaune. Rouge. Noir. Œil.
Le visage est assemblé dans une approche plastique du collage. Chaque objet disposé est découpé dans des magazines féminins de diverses époques, témoins des objets sociologiquement rattachés à la femme. Des objets métonymiques qui font naître des visages féminins, marchandisés, inertes. Une apparence née de toute pièce. Chaque détail est important, chaque détail forme le tout. Le pouvoir du visage dans la publicité se retrouve dans les magazines qui l’hébergent. Un cercle fermé qui se renouvelle constamment, s’alimentant du cinéma, s’anoblissant par là même. Les égéries d’un produit deviennent égéries de femmes, et leurs visages, des modèles à suivre. Un masque idéologique que l’on observe, admire, désire.
Grâce à ces objets découpés, qui deviennent alors de simples formes, je réalise des visages féminins, à la frontière de la femme-désir et de la femme-monstre. Des femmes-objets.
N’est-ce pas notre propre visage qui apparaît et disparaît ?
Pauline Boitel
Composition s’articule autour d’un objet du quotidien, pour proposer une suite d’actions, qui combinent et articulent une proposition de nettoyage illimité dans une performance burlesque. Décrocher un aspirateur sans-fil, Sortir, Marcher, Composer avec ce qui se trouve sur le parcours, ne pas Hésiter quand on trouve, Composer, Détourner, Déplacer, Monter, Descendre, Prendre soin de la brosse motorisée de l’aspirateur, Rentrer chez soi, Vider le réservoir à poussière, Accrocher l’appareil ménager sur sa base de rangement, la composition est terminée.
Sébastien Petit